DMG PARIS DIDEROT: Revue de Presse

La goutte en 2013, revue clinique

Edward Roddy, Christian D Mallen, Michael Doherty. Gout. BMJ 2013; 347:f5648 doi: 10.1136



Remarque: ce résumé d'article a été écrit par un étudiant ou un enseignant du DEPARTEMENT DE MEDECINE GENERALE DE PARIS 7. Il est en accès libre. La rédaction des résumés est faite dans le cadre de la REVUE DE PRESSE du DMG.

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Résumé de l'article

La goutte est le plus fréquent des rhumatismes inflammatoires (1 à 2% de la population). La crise de goutte se caractérise par un accès douloureux articulaire (classiquement la 1e articulation metatarsophalangienne), avec érythème et gonflement. Le facteur de risque principal est l’hyperuricémie qui entraine des dépôts de cristaux de monosodium urate (MSU) dans et autour des articulations. Non traités, ces dépôts peuvent entrainer d’irréversibles lésions articulaires.

Malgré des traitements efficaces, de nombreux patients rapportent des crises répétées et une diminution de la qualité de vie. Cette revue clinique résume l’état des connaissances pour le diagnostic et la prise en charge de la crise de goutte et de la goutte chronique.

Qu’est-ce-que la goutte ?

Lorsque la concentration sanguine de l’acide urique dépasse son seuil de saturation (autour de 380micromol/L 1micromol/L= 0,02mg/dL), des cristaux de monosodium urate (MSU) se forment et se déposent de manière silencieuse dans le cartilage, l’os, les tendons.

L’acide urique est le résultat du métabolisme des purines qui sont à 30% seulement d’origine exogène, c’est-à-dire apportées par l’alimentation. Son excrétion est essentiellement rénale (70%).

La première crise de goutte survient quand les cristaux se retrouvent dans l’espace articulaire.

Elle est le plus souvent monoarticulaire, au membre inférieur, concerne typiquement la première articulation metatarsophalangienne (56 à 78% cas). L’avant-pied, la cheville , les doigts, le poignet et le coude sont aussi communes. Les épaules, les hanches et le rachis sont rarement concernés.

Les accès aigus sont caractérisés par une installation rapide, une douleur articulaire sévère qui atteint un pic d’intensité dans les 12-24h et associée avec un gonflement et un érythème et une résolution complète en 1 à 2 semaines.

Le temps entre les crises aigues est appelé période intercritique S’il n est pas traité, un second accès survient, souvent dans les 2 ans. Des attaques récurrentes peuvent devenir plus fréquentes et affecter différentes et plusieurs articulations. La goutte chronique, conséquence de la goutte non traitée, est associée à des lésions articulaires progressives, une douleur chronique, un handicap et des tophi sous cutanés (doigts, processus olecraniens, orteils, tendons d’Achille, genoux, pavillon de l’oreille).

Facteurs de risque

La goutte atteint préférentiellement les hommes de plus de 40 ans (9/10) et les femmes après 65 ans. Un syndrome métabolique est retrouvé à 62,8% (contre 25,8% chez les non goutteux (3.05 IC95% 2 à 4,6)

L’influence des facteurs diététiques est connue depuis longtemps, mais les études prospectives de qualité sont récentes. Les risques relatifs sont

- pour les facteurs aggravants : alimentation riche en purines (viande rouge RR 1,41 (1,07-1,86) dans le 1/5e du groupe où la consommation est la plus élevée par rapport au 1/5 où la consommation est la plus basse, fruits de mer 1,51 (1,17-1,95) , fructose boissons sucrées 1,85 ( 1,08 à 3,16) . Alcool : risque multivarié 1,17 par 10g alcool/j (IC95% 1,11 à 1,22), bière 2,51 (1,77 à 3,55), spiritueux 1,6 (1,19 à 2,16) mais pas le vin (1,05)

- pour les facteurs protecteurs : produits laitiers 0,54 (0,42à 0,74), café 0,41 (0,19 à 0,88

Des facteurs génétiques sont désormais connus : mutations géniques dans le transport rénal de l’acide urique SLC22A12, SLC2A9 (GLUT9), ABCG2 et SLC17A3, héritabilité de la clairance rénale et de l’excrétion de l’urée à 60% et 87% respectivement selon une étude de jumeaux.

L’influence des médicaments est confirmée. Concernant les diurétiques de l’anse et les thiazidiques, une revue récente de 13 études originales plaident en faveur d’un risque accru. En revanche, les arguments sont insuffisants pour remettre en cause l’aspirine à faible dose (75-150mg) dont on connaît le léger pouvoir hyperuricémiant.

Les comorbidités sont à rechercher systématiquement. Elles guident la thérapeutique, mais elles seraient surtout associées beaucoup plus fréquemment à la maladie goutteuse :

- HTA 74%

- Hyperlipidémie

- Insuffisance rénale chronique 20%

- Ostéoarthrite

- Obésité 53%

- Diabète 26%

- Insuffisance cardiaque congestive 11%

- Maladie cardiaque ischémique 14%

Diagnostic

Le diagnostic reste essentiellement clinique. L’atteinte du gros orteil est de haute valeur prédictive positive (sensibilité 96%, spécificité 97%)

Le diagnostic définitif est effectué sur la présence de cristaux de MSU au microscope (examen toutefois délicat et opérateur dépendant). La ponction est utile dans les formes atypiques

L’uricémie n’a qu’une faible valeur prédictive positive, les taux étant parfois normaux au moment des crises du fait d’une excrétion augmentée.

L’imagerie n’est le plus souvent pas nécessaire. Les radios sont souvent normales, on note parfois un gonflement asymétrique, des kystes subcorticaux sans érosion en cas de goutte chronique. L’échographie tend à se développer avec l’intérêt du signe du « double contour » (réhaussement hyperéchogène de la marge superficielle du cartilage articulaire), sensibilité présumée 44%, spécificité 99% , mais présent chez 25% des patients avec une hyperuricémie asymptomatique…

La recherche des comorbidités est un réflexe essentiel : HTA, dyslipidémie, BMI, tabac, alcool, diabète, IRC.

Traitement de la crise

Les AINS et la colchicine restent le traitement de 1e intention de la crise de goutte.

Indométacine 50mg x 3/j =etoricoxib 120mg/j sur la douleur

Indométacine 50mg x3/j pendant 2 jours, puis 25mgx 3/ j pendant 3 jours et le naproxene 500mg x2/j sont aussi efficaces que la prednisolone orale

La Société britannique de Rhumatologie et American College de rhumatologie recommande les AINS d’action rapide tel que le naproxene, à pleine dose.

La colchicine, alcaloïde naturel inhibant la phagocytose par les leucocytes des cristaux de MSU, l’inflammation, et les réponses immunitaires à médiation cellulaire, est traditionnellement utilisée à haute dose : 1mg initialement suivi de 0,5 mg toutes les 2 ou 3 heures jusqu’à cessation de la douleur. De plus faibles doses de colchicine sont aussi efficaces et mieux tolérées que les schéma à fortes doses (diarrhées et/ou vomissements systématiques). Le formulaire national britannique recommande 0,5 mg 2 à 4 fois par jour.

Il n’existe pas d’étude comparative entre colchicine et AINS. Les AINS oraux sont généralement considérés comme le traitement de 1e intention de la crise aigue avec la colchicine réservée aux patients présentant des CI ou des intolérances aux AINS.

La colchicine a un intervalle thérapeutique étroit, et de nombreux médicaments peuvent la rendre toxique : amiodarone, ciclosporine, digoxine, diltiazem, fibrates, antifongiques, (itraconazole, ketoconazole), macrolides, inhibiteurs de protéase, statine, verapamil.

Les corticoïdes constituent une bonne alternative. L’injection intra articulaire post ponction est validée par un consensus d’expert. Les corticoïdes IM ou oraux sont utiles, en cas de CI aux AINS et à la colchicine, lorsque plusieurs articulations sont concernées ou lorsque l’injection intraarticulaire n’est pas possible. 2 essais cliniques randomisés montrent que la prednisolone orale à la dose de 30-35mg par jour pendant 5 jours sont aussi efficaces que les AINS.

Le repos et glaçage ont montré leur bénéfice en tant que mesure adjuvante.

Traitement de la goutte

La prise en charge de la maladie goutteuse vise à prévenir la formation de nouveaux cristaux et à dissoudre les cristaux existants en abaissant l’uricémie sous le seuil de saturation. Elle associe traitements médicamenteux et non médicamenteux pour lesquels l’éducation thérapeutique est importante.

Le traitement non médicamenteux consiste en des mesures diététiques : diminution de la consommation d’aliments riches en purines (viande rouge, fruits de mer) et alcool (bière), boissons contenant du fructose, malgré des effets démontrés plutôt modestes. Les aliments protecteurs tels que les cerises, les produits laitiers, la vitamine C, ou le café doivent être connus des patients malgré leur faible niveau de preuve actuel lié au manque d’étude. Une perte de poids doit être encouragée si opportune.

L’initiation d’un traitements médicamenteux hypouricémiants fait toujours débat.

Si un consensus experts énoncent des critères tels qu’accès répétés, présence de tophi, de dommage radiologiques, d’insuffisance rénale, de lithiase rénale d’acide urique, la tendance actuelle est à discuter les options de traitement plus tôt. Il convient de démarrer 2 ou 3 semaines après la résolution d’une crise, afin d’éviter une aggravation. La discussion du traitement avec le patient en dehors de la crise douloureuse semble par ailleurs plus favorable à l’observance.

L’allopurinol (inhibiteur non spécifique des purines xantine oxydase) est le traitement de choix. Débuté à faible dose 100mg/j, augmenté de 100mg/j tous les mois jusqu’à uricémie < 360microg/L , il entraine la cessation des crises, la disparition des tophi, la dissolution des cristaux.

Un consensus d’experts recommande d’abaisser ce seuil à 300microg/l les 2 premières années afin d’accélérer l’élimination des cristaux et la réduction des tophi. Son métabolisme étant essentiellement rénal, l’allopurinol présente un risque d’hypersensibilité majoré en cas d’insuffisance rénale, d’utilisation de diurétiques, de hautes doses à l’initiation. Il reste bien toléré dans 90% des cas. Il peut être coprescrit avec colchicine 0,6mg x 2/j (réduction des crises).

Le febuxostat autre inhibiteur non spécifique des purines xantine oxydase, est une alternative récente. Son intérêt est qu’il ne nécessite pas de réduction de dose dans l’IRC modérée du fait de son métabolisme hépatique, et qu’il n’a pas d’interaction avec la warfarine. Il reste contre-indiqué en cas d’insuffisance cardiaque congestive, de maladie cardiaque ischémique, chez les transplantés, en cas de prescription d’azathioprine.

Le traitement est instauré à vie avec une concentration cible entre 300 et 360 microg/l, contrôle 1 à 2 fois / an après stabilisation.

Traiter à la valeur cible est un nouveau concept, mais qui combiné à l’éducation thérapeutique peut aboutir à la guérison et une amélioration considérable de la qualité de vie.

Conclusion

Le diagnostic de la goutte est généralement clinique

Devant une goutte, il faut traquer les comorbidités : HTA, diabète, maladie rénale, hyperlipidémie

La thérapie hypouricémiante est sûre et efficace, mais sous utilisée en première intention. Traiter à la valeur seuil peut réduire et éventuellement éliminer les accès aigus et prévenir les dommages articulaires à long terme.

Questions pour la recherche

—Les risques CV et rénaux sont-ils réduits par la diminution de l’uricémie chez les patients atteints de goutte?

—Le meilleur traitement de la crise de goutte : un AINS ou de faible dose de colchicine ?

—Efficacité des mesures diététiques et de la perte de poids sur la baisse de l’uricémie et le traitement de la goutte?

—Efficacité de l’arrêt des diurétiques dans l’abaissement de l’uricémie et le traitement de la goutte ?

—Au démarrage d’un traitement hypouricémiant à faible dose, la prophylaxie de la crise de goutte est-elle nécessaire ?

—Lorsqu’on démarre un traitement hypouricémiant, quel est le seuil optimum de traitement ?

Commentaires

Commentaire

L’article rappelle bien l’intérêt de rechercher les facteurs de risques cardio vasculaires et les éléments du syndrome métabolique devant toute goutte et/ou hyperuricémie. Il ne présente pas l’hyperuricémie comme élément causal d’autres désordres que les désordres articulaires: or, l’hyperuricémie est considérée aujourd’hui par les sociétés de cardiologie comme un facteurs de risques indépendant.

Cet article n’évoque pas les causes secondaires d’hyperuricémie telle que les hémopathies, les suites de chimiothérapie... Parmi les causes médicamenteuses, certaines bien connues manquent (laxatifs, antituberculeux, interféron…)

Concernant les mesures diététiques pas de recommandations concernant les boissons alcalinisantes (eau de Vichy) pour diminuer le risque de précipitation d’urate dans les urines

Il ne parle pas de l’intérêt de rechercher systématiquement les lithiases urinaires par recherche de cristaux à l’ECBU ou uraturie des 24h, pouvant motiver l’introduction plus précoce d’un traitement hypouricémiant .La lithiase uratique se voit chez 20% des goutteux.

Il ne rappelle pas qu’en l´absence de goutte il n´y a pas d´indication à un traitement hypouricémiant sauf si l´uricémie est majeure (supérieure à 90 mg/l) ou s´il existe une lithiase uratique.

Il ne fait pas allusion au schéma habituel en France pour l’administration de la colchicine : 1mg x3/j J1, 1mg x2/j J2, 1mg/j à partir de J3. Ce qui est considéré comme de hautes doses 1mg puis 0,5mg toutes les 3h jusqu’à cession de la crise n’est pas disproportionné par rapport aux usages habituels , l’article suggèrerait de pouvoir baisser, mais la galénique française ne propose que des comprimés de 1mg.

Il ne parle pas de la prévalence de la goutte en augmentation chez les jeunes du fait de l’augmentation des boissons sucrées (âge moyen de la première crise de goutte aux USA très abaissé…)

Enfin, il ne parle pas des nouvelles voies thérapeutiques anti IL1, avec le modèle de l’inflammasome.


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