DMG PARIS DIDEROT: Revue de Presse

La prise de paracetamol au long cours est-elle dangereuse?

Roberts, Emmert. « Paracetamol: Not as Safe as We Thought? A Systematic Literature Review of Observational Studies ». Ann Rheum Dis doi:10.1136/annrheumdis-2014-206914



Remarque: ce résumé d'article a été écrit par un étudiant ou un enseignant du DEPARTEMENT DE MEDECINE GENERALE DE PARIS 7. Il est en accès libre. La rédaction des résumés est faite dans le cadre de la REVUE DE PRESSE du DMG.

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Résumé de l'article

Plusieurs patients nous ont questionné suite à la parution dans plusieurs journaux (ref 1 à 4) d'articles relayant les risques cardiovasculaires, rénaux et gastro-intestinaux de la prise régulière et à dose importante de paracetamol. Ces articles font écho à une revue systématique de la littérature parue en mars dans Annals of Rheumatic diseases sous le titre « Paracetamol : not as safe as we thought ? » (ref 5). Quels sont les conclusions que l'on peut faire de cette étude et que répondre aux patients ?

Introduction
Le mécanisme d'action du paracetamol est en grande partie inconnu. Il semblerait qu'il agisse en inhibant la production de prostaglandine au niveau du système nerveux central et des tissus périphériques. Il s'agit d'un antalgique de palier 1 selon l'échelle de douleur de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et il est recommandé comme antalgique de première intention à la dose de 1g toutes les 6h chez l'adulte dans une multitude d'affections douloureuses, aigües ou chroniques (ref 6) en raison de sa relative efficacité et de son « absence d’effets indésirables », discutée (ref 7).

Méthode
Les auteurs ont donc décidé d'évaluer les effets secondaires du paracetamol aux doses standard en réalisant une revue systématique des études de cohortes comparant les profils d'effets secondaires entre des patients prenant du paracetamol à des doses thérapeutiques et des patients n'en prenant pas. Les critères de jugements sont la mortalité, les effets indésirables cardiovasculaires (infarctus du myocarde (IDM), accidents vasculaires cérébraux (AVC) et hypertension artérielle (HTA)), gastro-intestinaux (hémorragies digestives) et rénaux correspondant soit à une diminution du débit de filtration glomérulaire (DFG), soit une augmentation de la créatinine, soit à la nécessité d'une greffe rénale.

Résultats
Huit études de cohortes ont correspondu aux critères de sélection, comprenant chacune entre 800 et 380 000 patients, pour une durée de suivi de 2 à 20 ans. Toutes n'évaluaient pas tous les effets indésirables à la fois. Cinq d’entres elles avaient lieu chez des infirmières ou des médecins en bonne santé (ref 8 à 12), une chez des patients souffrant d’insuffisance rénale (IR) chronique (ref 13) et deux sur des cohortes de patients inscrits sur les registres de l’assurance maladie, chez 380 000 patients au Royaume Uni (ref 14) et chez 50 000 patients au Danemark (ref 15).

Comparaisons sur la mortalité
Deux d'entre elles évaluaient la mortalité toutes causes (ref 14 et 15).
L'une (ref 15) retrouvait une augmentation significative de la mortalité (ratio de mortalité standardisé = 1,9 (intervalle de confiance IC95% = [1,88 ; 1,94])).
L'autre (ref 14) détaillait le risque relatif en fonction des prises antérieures de paracetamol par le patient. Il y avait 6 situations : (1) il s'agissait de la première prescription de paracetamol pour ce patient, (2) le patient avait déjà reçu du paracetamol il y a plus de 6 mois, (3) le patient avait reçu du paracetamol il y a moins de 6 mois. Dans ce dernier groupe, les auteurs distinguaient 3 sous groupes en fonction du délai séparant les deux dernières prescriptions ; ce qu’ils considéraient comme un reflet de la fréquence des prises. Les résultats, pour cette deuxième étude, étaient :
Prises antérieures de paracetamol
RR de mortalité [intervalle de confiance IC95%]
Première prescription 1,95 [1,87 ; 2,04]
Prise antérieure il y a
plus de 6 mois
1,18 [1,14 ; 1,23]
Prise antérieure il y a
moins de 6 mois
Long délai entre les
deux dernières prescriptions
0,95 [0,92 ; 0,97]
Délai moyen entre les
deux dernières prescriptions
1,27 [1,21 ; 1,33]
Délai court entre les
deux dernières prescriptions
1,63,[1.58 ; 1.68]
Les auteurs concluent de cette augmentation du risque relatif en fonction de la fréquence de prise l'identification d'une relation dose-effet.

Comparaisons sur le risque cardiovasculaire
Quatre études évaluaient le risque cardiovasculaire (ref 8, 9, 14, 15), toutes ont montré une augmentation dose dépendante du risque :
La cohorte du Danemark (ref 15) a montré une augmentation dose-dépendante (significative à partir de 22 jours de traitement par mois, 6 jours par semaine ou 6 comprimés par semaine) du risque d'IDM (RR = 1.6 (IC95% = [1.5 ; 1.6])) et d'AVC (RR = 1.6 (IC95% = [1.5 ; 1.7])).
La cohorte du Royaume Uni (ref 14), retrouvait pour les IDM et les AVC une relation semblable à celle détaillée dans le tableau ci-dessus pour la mortalité .
Les 2 autres études (ref 8 et 9), réalisées aux Etats Unis retrouvaient un risque relatif de survenue d'une HTA augmentant avec le nombre de jour de prise par mois. Par exemple, pour l'étude rassemblant 80 000 infirmières, RR = 1,19 (IC95% = [1,04 ; 1,36]) en cas de prise d'1 à 4 comprimés par mois, RR = 2 (IC95% = [1,52 ; 2,62]) en cas de prise de plus de 22 comprimés par mois.

Comparaisons sur le risque d’hémorragie digestive
La seule étude qui relevait les évènements gastro-intestinaux (ref 14) montre un risque relatif plus important est en cas de 1ère prescription (RR = 1,74 (IC95% = [1,53 ; 1,98])). Il est plus faiblement augmenté en cas de prescription espacée de plus de 6 mois (RR = 1,30 (IC95% = [1,17 ; 1,44])). Il est encore plus faible en cas de prescription espacée de moins de 6 mois mais peu fréquente (RR = 1,11 (IC95% = [1,04 ; 1,18])) et augmente linéairement avec la fréquence de prescription (moyenne fréquence : RR = 1,25(IC95% = [1,12 ; 1,40]), très haute fréquence : RR = 1,49 (IC95% = [1,34 ; 1,66])).

Comparaisons sur le risque pour la fonction rénale
Quatre études (ref 12 à 15) évaluaient le risque pour la fonction rénale. Trois d’entres elles retrouvaient un effet dose-dépendant de la prise de paracetamol sur la survenue d’une IR terminale. La 4e étude ne retrouvait pas d’effet significatif de la prise de paracetamol sur la fonction rénale.

Conclusion des auteurs de l’étude
Dans la discussion, les auteurs concluent à une relation dose dépendante entre la prise de paracetamol et la mortalité ainsi que les effets indésirables cardiovasculaires, gastro-intestinaux et rénaux.
Les auteurs soulignent que plusieurs études montrent un profil d’effets indésirables similaires entre le paracetamol et les AINS, avec un effet additif sur la survenue d’hémorragies digestives dans une étude de cohorte chez des sujets âgés (ref 16). Un essai contrôlé randomisé a montré que la baisse d’hémoglobine observée après 3 mois de traitement par un AINS est observée aussi après 3 mois de traitement par du paracetamol (ref 17).
Leur conclusion finale est que, comme toute prescription, la prescription de paracetamol doit être faite après évaluation de la balance bénéfice risque. Le risque lié à la prescription de paracetamol observé dans cette revue ne peut remettre en cause les indications classiques mais doit amener à la prudence dans les situations où l’obtention de l’analgésie par le paracetamol est incertaine. De plus, les prescripteurs se doivent d’être au courant des effets indésirables du paracetamol en fonction des patients, des durées de traitement et des dosages, même aux doses recommandées.

Commentaire

Nos conclusions à la lecture de cette étude
Si le choix de ne sélectionner que des études de cohortes donne une certaine fiabilité aux résultats tout en permettant d’étudier des grands effectifs sur des durées longues (il aurait été impossible de suivre 380 000 patients sur 20 ans dans un essai randomisé), cette étude ne donne pas de relation causale entre la prise de paracetamol et la survenue d’évènements indésirables. Ainsi, il est probable que les patients recevant du paracetamol à dose importante sur de longues durées soient plus à risque : par exemple, un patient atteint d’arthrose des genoux fait moins d’exercice physique qu’un autre et a donc par conséquent un risque cardiovasculaire augmenté.
Les critères de Hill (ref 18) permettent de donner plus d’argument à un lien causal lorsque l’on observe une corrélation :
- Force de l’association : ici le risque relatif est modérément augmenté
- Répétition dans différentes population : oui mais on l’a vu, seules deux études était réalisées sur une population « ambulatoire »
- Relation dose-réponse : on observe ici une relation dose réponse : les effets secondaires graves sont associés à la fréquence et à la durée des prises. Cependant, on peut penser que ce paramètre n’est pas indépendant de la gravité des patients : on donne probablement plus souvent du paracetamol aux patients plus douloureux et donc plus malades.
- Plausibilité biologique : en inhibant probablement la production de prostaglandines, le paracetamol a un mécanisme voisin des AINS, il paraît donc possible qu’il en partage les effets secondaires.
- Relation temporelle : oui, elle est dans la définition de l’étude de cohorte (l’exposition précède la collecte des critères de jugement).
- Disparition de l’effet après avoir retiré le facteur d’exposition : malheureusement cet élément n’est pas recherché ici, il permettrait de renforcer la solidité des résultats.
Il est important de noter que l’étude porte sur l’effet de la prescription. On ne peut confirmer la prise réelle de même que la prise d’autre médicaments en plus ou à la place. Notamment, quatre études n’ajustaient pas les résultats sur la prise concomitante d’AINS.

Il n’existe donc pas de médicament anodin. On sera particulièrement attentifs à surveiller la prescription de paracetamol au long cours et à évaluer son efficacité dans les affections chroniques.
Il est rassurant d’observer que sur les effectifs importants de l’étude, les effets délétères observés n’apparaissent qu’en cas de prescription à forte dose et au long cours.

Il sera important de confirmer un lien de causalité entre le paracetamol les effets indésirables identifiés ici, par exemple en conduisant des essais randomisés.
En pratique, cet article ne vas pas influencer ma pratique car d'une part les résultats sont peu probants et d'autre part, devant un patient douloureux, la paracetamol reste l'antalgique de premier choix en raison de sa balance bénéfice-risque très favorable par rapport aux alternatives existantes.

Sources
(1) http://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/03/03/23467-nabusons-pas-paracetamol
(2) http://www.francetvinfo.fr/sante/le-paracetamol-dangereux-pour-la-sante_839499.html
(3)
http://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/0204196144243-le-paracetamol-augmente-t-il-les-risques-cardiovasculaires-1098324.php
(4) http://www.leparisien.fr/laparisienne/sante/attention-a-la-surconsommation-de-paracetamol-03-03-2015-4572161.php
(5) Roberts, Emmert. « Paracetamol: Not as Safe as We Thought? A Systematic Literature Review of Observational Studies ». Annals of the Rheumatic Diseases, 2 mars 2015. doi:10.1136/annrheumdis-2014-206914.
(6) http://apps.who.int/medicinedocs/fr/d/Jh2962f/6.2.html
(7) Le paracetamol, un antalgique anodin ?, Revue Prescrire, Octobre 2014 n°372 p.791
(8) Curhan GC, Willett WC, Rosner B, et al. Frequency of analgesic use and risk of hypertension in younger women. Arch Intern Med 2002;162:2204–8.
(9) Dedier J, Stampfer M, Hankinson S, et al. Nonnarcotic analgesic use and the risk of hypertension in US women. Hypertension 2002;40:604–8.
(10) Curhan GC, Knight EL, Rosner B, et al. Lifetime nonnarcotic analgesic use and decline in renal function in women. Arch Intern Med 2004;164:1519–24.
(11) Chan AT, Manson JE, Albert CM, et al. Nonsteroidal anti-inflammatory drugs, acetaminophen, and the risk of cardiovascular events. Circulation 2006;113:1578–87.
(12) Kurth T, Glynn RJ, Walker AM, et al. Analgesic use and change in kidney function in apparently healthy men. Am J Kidney Dis 2003;42:234–44.
(13) Evans M, Fored CM, Bellocco R, et al. Acetaminophen, aspirin and progression of advanced chronic kidney disease. Nephrol Dial Transplant 2009;24:1908–18.
(14) de Vries F, Setakis E, van Staa TP, et al. Concomitant use of ibuprofen and paracetamol and the risk of major clinical safety outcomes. Br J Clin Pharmacol 2010;70:429–38.
(15) Lipworth L, Friis S, Mellemkjaer L, et al. A population-based cohort study of mortality among adults prescribed paracetamol in Denmark. J Clin Epidemiol 2003;56:796–801.
(16) Rahme E, Pettitt D, LeLorier J. Determinants and sequelae associated with utilization of acetaminophen versus traditional nonsteroidal antiinflammatory drugs in an elderly population. Arthritis Rheum 2002;46:3046–54.
(17) Rahme E, Barkun A, Nedjar H, et al. Hospitalizations for upper and lower GI events associated with traditional NSAIDs and acetaminophen among the elderly in Quebec, Canada. Am J Gastroenterol 2008;103:872–82.
(18) Hill, Austin Bradford (1965). "The Environment and Disease: Association or Causation?". Proceedings of the Royal Society of Medicine 58 (5): 295–300.

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